Expositions à Paris entre musées et galeries

— Par Dominique Daeschler —

Le modèle noir de Géricault à Matisse.

Joliment introduite dans le grand hall de la gare d’Orsay devenue musée, l’œuvre de Glenn Ligon constituée de deux panneaux où douze néons mettent en lumière le nom de modèles, artistes et écrivains noirs, l’exposition va s’employer à rendre visible l’invisible, à retracer un passé esclavagiste, colonialiste, raciste et son évolution à travers des œuvres importantes des lendemains de la Révolution française jusqu’à l’entre -deux-guerres. Les repaires historiques sont précis, n’occultant ni l’abolition de l’esclavage, ni la traite ni l’expansion des empires coloniaux.
Cependant ce qui frappe le plus c’est le travail sur la dignité et l’identité : les noms des modèles ont été recherchés et les toiles rebaptisées (leurs premières dénominations étant mentionnées pour rendre compte des visions « racialisées » du 19e siècle). Le mot modèle est lui-même à prendre dans le double sens de sujet et porteur de valeurs (une culture spécifique). Beaucoup de portraits (l’exposition commence avec le portrait de Madeleine peint par M. Guillemine Benoist et celui de Joseph par Géricault) et de bustes (Cordier, Carpeaux) qui imposent les personnes tant et si bien qu’on en oublie presque les artistes dont Manet, Nadar, Matisse). Laure, Fideline, Jeanne Duval sont aussi des figures de proue d’une résistance des artistes au colonialisme, au mépris d’autres cultures. L’imaginaire de « l’Ailleurs » n’est pas exotique mais nourricier (Douanier Rousseau) et les modèles participent souvent à la réflexion des artistes sur leur époque : Dans l’Olympia de Manet c’est Laure qui frappe par sa noblesse au service d’une cocotte.
Il faudrait évoquer la montée d’une génération d’homme politiques (fin 19ième siècle) tout spécifiquement aux Antilles Guyane, le premier congrès panafricain à Paris ,la contre exposition à l’exposition coloniale, le poids de la « négritude » après l’ Harlem Renaissance et ces échanges d’artistes : Breton, Césaire, Lam, Senghor, Bataille, Gontran Damas …Un dernier grand papier découpé « la danseuse créole » de Matisse clôt l’exposition comme un hymne à la liberté de bouger de s’exprimer dans les couleurs toniques d’un lendemain…dansant.
Musée d’Orsay (jusqu’au 21 juillet)

Franz Marc et August Macke. L’aventure du Cavalier bleu

Le musée de l’Orangerie nous convie à la rencontre de deux peintres amis intimes, frères en Art, s’influençant un temps l’un l’autre. L’un Franz Marc, qui faillit devenir pasteur est un solitaire invétéré, en quête perpétuelle de spiritualité. L’autre August Macke au tempérament de feu, est un coloriste, hostile à la non-figuration dans l’Art (trois jeunes filles avec des chapeau de paille jaunes). Marc apporte à Macke une réflexion sur la composition des toiles, Macke apporte à Marc le goût de la couleur pure (le cheval bleu, les petits chevaux bleus) que ce dernier ne manque pas de théoriser en en dégageant une symbolique. Macke quittera vite le Cavalier bleu, Marc se rapproche de Kandinsky, intègre le NKVM de Munich proche du mouvement expressionniste Die Brücke. Marc est influencé par le cubisme et entre dans l’art abstrait européen tel qu’il sera enseigné au Bauhaus. Macke après un voyage en Tunisie avec Klee et un petit passage par l’abstraction où l’on peut sentir l’influence de ce dernier et de Delaunay revient au figuratif dans une rage des couleurs vives et des contours.
L’œuvre de Macke plus jetée, plus présente que celle de Marc s’impose sans renier ses références à Cézanne, Matisse. La guerre de 14 fauchera ces deux jeunes artistes (moins de 30 ans). On regrettera un accrochage trop classique qui, s’il a souci de pédagogie, donne peu de mouvement à cette exposition.

Musée de l’Orangerie (jusqu’au 17 juin)

Isidore Isou : de l’hypergraphie à l’art infinitésimal.

Dans le cadre d’une saison en Roumanie le Centre Pompidou met à l’honneur à la fois des artistes qui ont quitté leur pays au début du 20esiècle (à l’instar de Brancusi) et des jeunes artistes contemporains.
Isidore Isou arrivé à paris en 1945 est vite repéré : lançant le lettrisme, avènement de la lettre qui doit apporter un renouvellement des Arts il l’insère dans toiles et dessins et conduit au quartier latin moult manifestations que n’aurait pas renié Dada. Il explore sans relâche, avec un goût certain de la provocation et du message politique, le potentiel plastique, musical et littéraire de la totalité des signes. La méthode hypergraphique appliquée à ses toiles insère un poème sur le principe du rébus, il fait de même en photographie. Ce qui se lit c’est la force du discours : Isou écrit et ne cesse de publier : revue La Dictature lettriste, Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique, Traité d’économie nucléaire…Il filme : Traité de bave et d’éternité. Eclectique, il tâte encore de l’économie, de la finance, de la médecine, appelle la jeunesse à prendre conscience de son potentiel révolutionnaire et fait ouvrir une salle lettriste et hypergraphique au Musée d’Art Moderne. Une perpétuelle remise en question il théorise l’at infinitésimal puis son dépassement, invente une méthode applicable à toutes les branches de la culture ‘la kladologie ». L’exposition révèle une œuvre hors norme dont on sent plus la force que la dispersion.
(Centre Pompidou jusqu’au 20 mai)

Du côté des galeries

Coup de chapeau à Aude Minard à la Galerie Africaine
Spécialiste d’art africain, Aude Minart, rencontrée l’an dernier à la biennale de Dakar, s’attache à mettre en œuvre depuis Vingt ans le concept de galerie itinérante et éphémère avec succès. Aujourd’hui rue blanche à la galerie Africaine, demain dans le marais elle témoigne de la dynamique internationale des artistes africains. Loin des idées préconçues sur l’Afrique qui en font encore le territoire d’objets symboliques, elle s’attache à la découverte d’artistes émergents. Elle revient de Cuba un peu déçue par « le moule école d’art » et s’apprête à repartir à Dakar en repérage pour la prochaine biennale. Si la limite est parfois fine entre artistes et artisans, c’est l’occasion d’un dialogue fructueux qui peut porter l’évolution de l’objet vers l’œuvre. Si l’on reste un peu dans la caverne d’Ali Baba, s’imposent les bronzes à la cire perdue (série en corps) de Yacouba Touré du Burkina Faso, l’incroyable trône de Gonçalo Mabunda du Mozambique. Ce trône fait d’armes (Arms in Art) est un défi et un exorcisme pour cet artiste présent à l’une des biennales de Venise. Plus loin les sculptures de Seyni Awa qui ont aussi fait le tour du monde avec une escale elles aussi à Venise, Le travail de toiles (papiers collés) reprenant l’art du tissage des pagnes (fils apparents) de la sénégalaise A Aïdara, les toiles du sénégalais B Ndiaye Baye (collage sur collage, sable et acrylique), les mamma de Colleen Madamoumba du Zimbabwe les éléphants longues trompes d’Emmanuel Eni du Nigéria. Cette exposition appelée « Conversations » est une plongée salutaire dans l’univers de créateurs d’aujourd’hui qui disent bien haut qu’il faut compter avec eux.
(Jusqu’au 18 mai)

Au Japon avec la galerie Pierre-Yves Caër : le souffle des Kami de Jacques Bosser.
Délaissant les boutiques de vêtements en gros du Sentier, la rue Notre Dame de Nazareth se spécialise dans les galeries d’art contemporain (une quinzaine) avec plus ou moins de bonheur. La vaste galerie Pierre-Yves Caër est dédiée à l’art contemporain japonais : artistes japonais et artistes influencés par la culture japonaise quelle que soit leur nationalité. Le choix de Jacques Bosser, qui fait constamment cohabiter les mondes de la photo et de la peinture s’est fait autour de sa fascination pour le Japon où il a vécu et son appétence pour les mythes et croyances. Il entre de plein pied dans l’univers des » kami » des divinités omniprésentes dans l’environnement naturel, des divinités dont l’énergie devient palpable avec le travail conjoint de la photographie et de la peinture : travail photographique par plans mêlés, juxtaposition de couches de couleur en peinture avec graphie, corps photographies en noir et blanc dont les visages sont le plus souvent absents. On flirte avec le travail d’estampe puis avec les mangas, les modèles sont iconiques soit en référence aux légendes soit à la starisation. Le tout donne une œuvre cohérente, raffinée, affirmée dans ses techniques et ses références, rythmée entre petits et grands formats, utilisant parfois, en interlude, les caissons de bois.

Dominique Daeschler