Capitalisme papers

— Par Robert Saé —

papers_panamaPuisque les médias du monde entier font leurs choux gras du Panama Papers, profitons-en pour évoquer quelques réalités.

1/ Des révélations instrumentalisées

11,5 millions de documents analysés ! Un très faible pourcentage de noms livré au public parce que, nous dit-on, certaines données personnelles doivent être protégées. Les révélations ne concernent que 1 % de ceux qui sont impliqués dans l’évasion fiscale. Ni les entreprises, ni les ultra-riches États-uniens ne sont pointés du doigt. Une analyse à froid permettra de constater que les informations mises en avant sont celles qui permettent de déstabiliser les adversaires des impérialistes occidentaux. Les présidents Poutine et Assad ne sont pas cités dans les documents mais ils sont, particulièrement, sous le feu des projecteurs, « leurs proches » et des membres de « leur clan » étant concernés. Par contre, les noms du roi d’Arabie Saoudite, Mohammed ben Nayef Al Saoud, et du Président Ukrainien, Pero Porochenko figurent, eux, sur la fameuse liste mais les commentaires à leur sujet sont rares : ce sont des bras armés de l’occident ! Quant au président Argentin Mauricio Macri, ayant été missionné pour ramener son pays sous la coupe des fonds vautour, il faut le laisser travailler en paix ! Le premier ministre Islandais, lui, a eu la malchance d’être à la tête d’un pays qui, en 2008, avait refusé de sauver les banques au détriment de sa population. C’est vrai, on a cité David CAMERON, mais, le pauvre, ce n’est vraiment pas de sa faute : il s’agit d’investissements faits par son père. Et puis, promis-juré, il va durcir la législation. Les autres noms révélés ? Ce sont pour la plupart des gens qui avaient déjà été éclaboussés par des scandales (Cahuzac, Platini, et autres fusibles.)

Et tant qu’à faire, on en profite pour continuer à dénigrer les peuples africains. Pour RFI : « L’Afrique est éclaboussée ! » (L’Europe, elle, ne l’est pas !). RFI qui titre encore avec « Ces fils de dirigeants Africains pointés du doigt» (A quand les pères, frères et filles des « dirigeants Européens » ?)

S’il n’est pas question ici de nier la valeur du travail des journalistes d’investigation, on a toutes les raisons d’être sceptique quant aux intentions des milliardaires qui financent le CPI* dont le ICIJ* est une émanation. (David Rockefeller, la Carnegie Corporation, la Fondation Ford, Goldman-Sachs, George Soros, etc.) Il n’est pas, non plus, inutile de rappeler la pratique sélective du traitement de l’information par les médias sous contrôle des multinationales.

 

2/ Les paradis fiscaux font partie de l’ADN du système capitaliste

Au-delà du tapage médiatique, quels sont les véritables enjeux ?

Dans les paradis fiscaux, ces pays où les impôts sont très faibles voire inexistants, on peut créer des « sociétés offshore » qui garantissent une grande discrétion à leurs clients. La loi française n’interdit pas la création de ce type de sociétés, elle prétend les encadrer et celles-ci doivent payer quelques impôts. Mais, les possesseurs de grosses fortunes peuvent cacher leurs avoirs dans des « sociétés écran » où leur nom n’apparaît absolument pas. Les montages sont réalisés par des cabinets spécialisés comme Mossack Fonseca, celui qui est au centre de l’actuel scandale. Des sommes astronomiques échappent alors à tout contrôle. Des banques de tous pays, c’est le cas de la Société Générale, utilisent ces filières pour contourner les législations nationales et blanchir de l’argent sale. Les clients de ces cabinets viennent de la mafia, des multinationales, des castes aisées qui nagent dans le monde des affaires, de la politique, du sport, des arts, etc. Le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung rapportait récemment que des agents secrets de plusieurs pays, dont des intermédiaires de la CIA américaine, ont eu recours aux services du cabinet panaméen Mossack Fonseca afin de dissimuler leurs activités. Il faut savoir, enfin, que ces « sociétés écran » sont pour les pays auxquels les puissances occidentales imposent des sanctions économiques (parfois injustifiées), un moyen de contourner celles-ci.

Ce qui est indiscutable, c’est que derrière les cris d’indignation que nous servent actuellement les gouvernements, tout est fait pour éviter que le système soit mis à nu. Les « paradis fiscaux ne sont qu’une version achevée, d’une part, des politiques néolibérales prônées par tous les gouvernements occidentaux et alliés, avec leur volet défiscalisation, d’autre part, de «l’optimisation fiscale » pratiquée par toutes les grandes entreprises. Ils n’ont rien de moins immoral que la spéculation qui a cours dans les différentes places boursières.

Aujourd’hui, tous les pays adeptes du libéralisme économique se livrent, entre eux, à une bataille acharnée pour attirer des capitaux, pour être, sans le dire, des « paradis fiscaux ». Rappelez-vous comment David Cameron a proposé de dérouler « un tapis rouge » aux investisseurs, quand la France a, de façon démagogique, parlé d’imposer les gros revenus. Le Royaume-Uni s’apprête à réduire le taux de ses prélèvements fiscaux à 17%. En Irlande, c’est 12%. En 2014, l’enquête LuxLeaks révélait que les multinationales ne payaient quasiment aucun impôt en Europe, grâce à leurs filiales au Luxembourg.

Si les taux d’imposition sont beaucoup plus élevés aux USA (35%), il faut rappeler que dans ce pays, il est légal de créer des… « sociétés-écran», qu’en outre, les multinationales et milliardaires États-uniens utilisent massivement le canal des nombreux paradis fiscaux auxquels ils sont liés de par le monde.

Dans les faits, les paradis fiscaux sont partie intégrante du système capitaliste mondial et leurs objectifs sont strictement les mêmes que ceux poursuivis par les maîtres de ce système. Comme l’a démontré excellemment Christian Chavagneux, dans un article de « Alternatives Économiques » (n° 252 – novembre 2006) : « Les paradis fiscaux ne facilitent pas seulement les magouilles financières, ils sont au centre des stratégies des firmes et des flux bancaires internationaux.» Il est évident que les gouvernements occidentaux ne prendront aucune mesure qui aurait pour effet de bousculer ce système financier mondial.

3/ Tourner la page du capitalisme papers

Les adeptes du libéralisme ne mettront jamais fin à la spéculation et aux circuits garantissant l’opacité aux possesseurs de capitaux. Les manœuvres de Cameron pour garantir les secrets de la « City » ou le projet de loi pour assurer le secret des affaires en France en attestent. Le rapatriement des capitaux par les évadés fiscaux, présenté comme une « victoire » par les gouvernants français, ne doit pas faire illusion. Derrière Leurs haut-le-cœur hypocrites, ils savent bien que les fonds rapatriés ne serviront pas à renflouer les services publics, les collectivités, les caisses de retraite ou la Sécurité sociale.

Puisqu’on parle d’hypocrisie, comment ne pas relever la duplicité de François Hollande qui parle de « protéger les lanceurs d’alerte » alors qu’en 2013, il refusait l’asile politique à Edward SNOWDEN, malgré une pétition de plus de 170.000 signataires et l’intervention de plusieurs députés.

Le scandale du « Panama papers » devrait être, selon nous, l’occasion de pousser plus à fond la réflexion quant aux moyens de porter réellement réponse à l’anarchie entretenue dans la société et dans l’économie par des possesseurs de capitaux obnubilés par la maximisation de leurs profits et, surtout, quant aux moyens de mettre fin au détournement des richesses créées par l’humanité au bénéfice du fameux 1 % de prédateurs.

* ICIJ : Consortium internationale des journalistes d’investigation, fondé en 1997.

* CPI : Center for Public Integrity

Robert SAE

Martinique, le 14 Avril 2016