BIAC 2013 : L’art est affaire de sensibilité et non de raison

— Par Jean José Alpha —

biac_atrium-325Sur la place Eugène Mona devant l’Atrium, ce vendredi 22 novembre à la tombée du soir, lors du lancement de la Biennale internationale des Arts contemporains de la Martinique (BIAC) organisée par Johanna Auguiac- Célénice et la Région Martinique,  j’ai vu apparaitre sur les toiles blanches mises à leur disposition, les manuscrits secrets des artistes invités.
La voix roque de Papa Slam sur les musiques de Jeff Baillard, percutait les spectateurs plantés devant l’estrade sur laquelle évoluaient nerveusement les créateurs face aux rectangles blancs en surbrillance placés au dessus de la mêlée.
Alors, j’ai vu apparaitre des taches de couleurs, des jets de flèches, des bouquets de comètes, des lignes de silhouettes, des cercles enchainés en spirales d’interrogations, des faisceaux de phares en suspension. .Autant d’histoires et de formes aux contours incertains, superposées dans la lumière froide des projecteurs, me ramenaient aux rites des imaginaires gravés sur les parois de la grotte ouverte sur  l’inconnu.
En mode recherche : Art – Impressionnisme – Contemporain – Abstraction – Surréalisme -, je m’efforçais à trouver les correspondances, les ressemblances, les coordinations, les connivences, les coalitions. Alors que je convoquais mes repères de connaissances générales, j’entendis une voix  dans mon dos: « Ce n’est pas de l’impressionnisme, çà ;  Ils font de l’Art abstrait ! ».
Ces images qui m’apparaissaient  vues de loin, puisque je me trouvais à plus de 30 mètres sur le parking d’en face, même si elles n’offrent pas de signification littérale, de toute évidence, s’imposaient par leurs qualités esthétiques. Et l’émotion qu’elles réveillent  en moi, tire manifestement son origine de la peinture elle-même,  et de ce que je voyais de ces bras pris de transe qui taillent l’espace en mouvement sporadiques.
Je m’aperçus qu’il n’y avait pas là d’innovations transcendantales des œuvres des prédécesseurs comme  Guédon, Khoko René Corail, Permal, Hélénon, Charpentier, Laouchez,  mais juste, me semble-t-il, le passage audacieux des limites de l’abstraction qui révèlent le motif de l’artiste, son excitation, ce qui l’a excité à peindre.
Je compris que cette hardiesse esthétique et bravache survoltée d’émotion et de poésie, nait certainement de la réceptivité de l’artiste au rythme des choses, de son environnement, des frustrations sociales et personnelles, de ce qui est nécessaire de dire et qu’il est impossible à dire ; ou plus clairement , ce qui est nécessaire de dire pour la compréhension rationnelle est impossible à dire pour le rendu poétique.                       Sé pwan-i kon i yé-a  (C’est à prendre ou à laisser). C’est vrai qu’il n’y a donc là que la stricte nécessité intérieure du créateur que le public ne peut pas comprendre tout de suite, parce qu’ « il cherche à expliquer rationnellement ce qui échappe au discours » aurait dit Joseph Khoko René Corail.
Qu’elles soient confidence lyrique, espace en mouvement ou architecture innovante, les œuvres abstraites, comme la musique, comme la poésie, me paraissent  offrir les ambitions et quelquefois les réussites les plus difficiles.
Et si l’art est manifestement affaire de sensibilité et non de raison, il existe en chacun de nous, me semble-t-il, une opposition naturelle entre les exigences de la sensibilité destinée à percevoir les différences, et celle de la raison qui se borne à enregistrer les ressemblances, les précédents d’habitude.
Ce qu’on appelait « comprendre » en matière d’art, ne consistait en rien d’autre qu’en une reconnaissance, une possibilité de ramener l’inédit au connu » selon Luc Benoist, historien et critique d’art du 19ème siècle. Aujourd’hui, le vertige de l’instant qui s’installe doucement comme la brume matinale des mangroves, nous rapproche de l’invisible, de la poésie, de l’esthétique et des sentiments..
Hier, il suffisait de s’approcher d’une pièce pour que son sujet apparaisse clairement et qu’il ouvre un chemin facile à l’émotion.

Aujourd’hui devant une œuvre picturale abstraite, musicale ou théâtrale, littéraire  ou photographique, c’est l’émotion de l’artiste que la pièce nous livre à l’état pur, sans intermédiaire d’un sujet ou d’un objet.
La raison s’est adaptée docilement aux réactions de la sensibilité. La nouveauté surprenante d’hier est devenue la norme d’aujourd’hui. Et si un tel accord est possible, c’est que l’art abstrait, à travers l’inspiration de l’artiste, traduit une interprétation nouvelle que l’art en général, a pour mission de nous donner.
J. José ALPHA