Avignon 2017 (18) « L’avenir dure longtemps », « Santa Estasi – Atridi : Otto Ritrato di famiglia »

— Par Selim Lander —

L’Avenir dure longtemps de Louis Althusser (OFF)

Louis Althusser (1918-1990) est un philosophe français structuralo-marxiste qui, quoique membre du PCF, eut une grande influence sur le mouvement gauchiste. Agrégé préparateur de philosophie à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, il devint tout naturellement le maître à penser de nombre de jeunes philosophes qui s’engagèrent dans la mouvance maoïste dans les années 60 et 70 du siècle dernier.

Bien qu’il fut cet intellectuel très brillant qui initia une nouvelle lecture de Marx, il souffrait de crises récurrentes qui le conduisirent à séjourner en hôpital psychiatrique à plusieurs reprises. En 1980, à une époque où il se trouvait particulièrement perturbé, il étrangla sa compagne de toujours, Hélène Ryman. Il bénéficia alors d’un non-lieu en vertu de l’article 64 du code pénal : « il n’y a ni crime ni délit lorsque l’accusé était en état de démence au moment des faits ». Cependant un doute planait sur sa culpabilité dans la mesure où Hélène Ryman était sur le point de le quitter au moment des faits. C’est pour s’expliquer sur le meurtre mais également sur l’évolution de sa philosophie qu’Althusser écrivit L’Avenir dure longtemps qui parut après sa mort.

Dans son adaptation du livre pour le théâtre, Michel Bernard (M.E.S.) se concentre sur l’Althusser intime. Il commence par le récit du crime et continue par les confidences du philosophe concernant son rapport à la sexualité, sa phimosis, ses premières pollutions nocturnes, ses maîtresses (puisqu’il déclare dans le livre en avoir eu plusieurs, brièvement, et n’être pas attiré par le corps d’Hélène, d’ailleurs de huit ans son aînée…)

Quoi qu’il en soit de la sincérité d’Althusser dans ce plaidoyer pro domo, ce livre, écrit dans une période de rémission de la maladie mentale, ne peut qu’intéresser tous ceux qui se sont frottés peu ou prou à la philosophie d’Althusser et au-delà par tous ceux qui se sentirent concernés par la controverse autour du non-lieu.

La scénographie de Thomas Delord place le comédien devant un drap blanc, probable évocation du milieu hospitalier. Plus en arrière, sur un grand écran quadrillé, se succèdent des vues des toits de Paris, de nuages, d’arbres, toujours dans des teintes de gris. Quant au comédien, Angelo Bison, tantôt assis sur une chaise en bois, tantôt debout, presque tout le temps immobile, il nous impressionne avant tout par son regard, les yeux comme sortis de leur orbite, un regard de malade (qui n’est pas, Dieu merci, celui qu’il a dans la vie). Enfin – faut-il l’ajouter ? – A. Bison est complètement dans la vérité du texte

 

Santa Estasi – Atridi : Otto Ritrato di famiglia d’Antonio Latella (IN)

Un marathon théâtral tel que les affectionne les programmateurs du IN : huit pièces différentes étalées sur deux soirées pour une durée respectivement de 8 heures 50 et sept heures 40. Il s’agit de raconter l’histoire des Atrides en la centrant successivement sur huit personnages-titres (dont un collectif) : d’une part Iphigénie en Aulide, Hélène, Agamemnon, Electre ; d’autre part Oreste, Les Euménides, Iphigénie en Tauride, Chrysotémis.

Maudits par les dieux à la suite du crime inaugural de Tantale qui leur avait fait manger son fils (!), les Atrides eurent une destinée funeste. Il y a donc a priori (mais voir plus loin) matière à théâtre et ce n’est pas un hasard si tant de dramaturges de tous les pays s’y sont essayés. Antonio Latella (actuel directeur de la Biennale de théâtre de Venise) a fait appel à sept jeunes dramaturges italiens pour écrire les pièces et a lui-même mis en scène les seize jeunes comédiens chargés d’interpréter le mythe, quasiment tous constamment présents sur le plateau, qu’ils jouent ou pas.

Le projet d’A. Latella de provoquer une « catharsis » – ou une « extase » – tant chez les artistes que dans le public, la volonté de « sortir l’art du théâtre de son conteneur, de son confinement pour retrouver le lien originel avec l’ailleurs »[i]  sont certainement louables. Néanmoins il faut se méfier des trop grandes ambitions. En l’occurrence c’est peu dire qu’elles ne sont pas réalisées. Sainte Extase n’est même pas un honnête spectacle : c’est un spectacle raté. Des potaches qui se défoulent sur la scène en faisant à peu près n’importe quoi et en vociférant, sans oublier les inévitables numéros de danse sur une musique disco, ça va un moment mais il faut un tempérament de martyr pour rester jusqu’au bout. Et dire que tout cela a été travaillé pendant cinq mois, ce qui signifie que ce bruyant désordre a été pensé, voulu et dirigé par « une figure incontournable du renouveau théâtral italien »[ii] !

Au-delà de ces problèmes de forme, l’idée même de faire revivre au théâtre les grands mythes antiques soulève une difficulté de fond. Les histoires de dieux qui se disputent sur le dos des humains après leur avoir fait des enfants ne sont certes pas sans un certain intérêt pour éclairer notre propre psyché et ce n’est pas par hasard que la psychanalyse s’en est saisie. N’empêche que, prises au premier degré, ces histoires sont étrangères à nos préoccupations de modernes. Elles étaient plus proches du public de Corneille et de Racine. Et si nous goûtons aujourd’hui encore leurs tragédies, c’est d’une autre façon que leurs contemporains, où domine le plaisir d’entendre de beaux vers.

Ceci explique le succès de l’Antigone de Miyagi, ce dernier ayant misé à fond sur l’esthétique (notre billet n° 4). Un autre parti est celui de la farce, ce qui revient à considérer ces grands mythes comme dérisoires, même si on prétend par ailleurs en faire une « lecture politique interrogeant en profondeur la signification de la famille »[iii]. Pourquoi pas la farce à condition qu’elle soit drôle et qu’elle ne dure pas trop longtemps ? A ce compte, L’Iliade, présentée dans le OFF en toute modestie (sans la débauche de moyens du IN), nous est apparue nettement plus réussie (notre billet n° 2).

 

[i] Extrait du dossier de presse.

[ii] Extrait du dépliant distribué au public du festival.

[iii] Ibid.