Aux assises de la présidentielle

— Par Roland Tell —

Quoi faire pour dérouiller la vieille politique du culte sauvage et féroce de l’argent ? C’est la dernière infirmité de l’Etat, dont la Justice souhaite se défaire, en l’examinant avec attention, à travers deux candidats présidentiels de poids, sur l’un et l’autre des plateaux de sa balance. Mais voilà ces derniers, qui se promulguent soudain des clauses dérogatoires au droit commun, destinées à établir des limites et des empêchements à l’intervention des juges ! La justice pour le citoyen ordinaire n’est-elle pas une charité pour eux, bien plus que partout ailleurs, notamment en période de vote populaire, exercice civique de sélection par le suffrage universel – autorité souveraine, dont aucun autre pouvoir ne saurait lui être correctement superposé, fermant, pour ainsi dire, toutes les procédures de déstabilisation. Ces dispositions naturelles, car non écrites, constituent autant de déterminations nouvelles pour la finalité recherchée, c’est-à-dire parfaire sa propre personnalité, pousser celle-ci vers un surcroît, une gloire, se manifestant alors dans la plénitude de l’actualité électorale. A dire vrai, le candidat présidentiel n’est-il pas à la fois perfection intérieure et amour du bien commun ?

Avant tout, il importe de revenir un peu en arrière dans l’histoire des partis en cause. Prenons, par exemple, le Gaullisme, ou ce qu’il en reste, dans sa synthèse républicaine d’aujourd’hui, tel qu’il revendique le pouvoir tout entier pour la sauvegarde des institutions. Certes, il contient une substance idéologique, qui domine le temps, et inspire une certaine vision de la société française. Le candidat présidentiel actuel, qui n’a pas oublié sa vertu formatrice et ses valeurs humaines n’a-t-il pas déclaré, à l’encontre d’un concurrent éminent : « Imagine-t-on le Général De Gaulle mis en examen ? »

Ce disant, il exprimait le maximum absolu de perfection morale et politique de toute candidature à la magistrature suprême. Donc, rien d’archéologique dans le modèle proposé à l’esprit collectif français ! Certes, près de soixante après, les idées comme les comportements, privés ou publics, ont évolué, moyennant des changements profonds, même dans la transmission du dépôt gaullien, compte tenu des renouvellements et des progrès, scientifiques, techniques, sociologiques, qui font que les esprits pénètrent de mieux en mieux dans l’épaisseur de la modernité, avec de nouvelles soifs sprituelles, et des manières diverses de se désaltérer.
Actuellement d’ailleurs, la pratique des Primaires n’ajoute-t-elle pas au désordre idéologique et militant des partis, où prédomine de plus en plus, à droite comme à gauche, la problématisation des clans, courants, et autres modes de se désaltérer en politique, par des nuances, des mesures, des programmes, voire des oppositions, ménageant, ici ou là, des transformations, visant à la liquidation des concurrents. En conséquence, il n’y a pas de continuité doctrinale, mais de nouvelles perspectives constamment ouvertes dans la démocratie, où surtout tout le monde cherche à faire fortune, afin de satisfaire les passions politiciennes, à partir des fonds publics, en portant un culte effréné à l’argent des indemnités, des représentations, et autres prébendes et sinécures. Leur modèle d’explication se trouve dans leurs pouvoirs d’élus majeurs ou de gouvernants, pour qui l’argent reste préférable à tout. Certes, afin d’éviter toute généralisation, il faut noter la relation, qui existe entre les structures, profondément enracinées de la personnalité, et les manifestations publiques d’honneurs, de respect, de gratitude, qui finissent par leur conférer un mode de vie, riche en potentiel de contamination, d’expansion. C’est pourquoi leur identité reste une identité construite, foncièrement égocentrique, dans une constante resingularisation de soi pour les affaires de tutelle, de présidence, de rapporteur, ou pour toutes charges de la vie publique ordinaire, où ils peuvent satisfaire leur insatiable passion de la richesse.

C’est pourquoi encore, plus nous avançons dans le temps, une autre autorité d’Etat se distingue de plus en plus sur le même univers du suffrage universel, qui le fait entrer, plus à fond, dans les moeurs de la nouveauté politique, concernant tout particulièrement les politiciens thésauriseurs d’argent public. De quel côté la Justice regarde-t-elle aujourd’hui pour sanctionner les délits ? Le fondement même de ses interventions concerne le premier vice de la politique active, les détournements avérés de fonds publics, les scandales financiers dans la gestion des affaires d’Etat, le cumul des indemnités parlementaires dans le cercle familial, les élus spécialistes en tous genres, pour préférer l’argent public comme argent de tout, pour les gardes du corps, pour les propagandistes, sans compter d’autres désirs parasites du train de vie.

De la sorte, les professionnels de pouvoir font de plus en plus dans le régime oligarchique. En effet, l’argent public fait l’objet d’une sourde guerre entre journalistes bien informés, et politiciens cherchant à s’enrichir – eux, leurs femmes, leurs enfants. Tous candidats, de plus en plus affamés d’indemnités d’Etat, de privilèges, d’affaires publiques, à partager exclusivement avec leur espèce matrimoniale et domestique ! Le goût passionné pour l’agent public, et toutes les facilités, que celui-ci confère, donne lieu à une étrange gymnastique électorale, pour influencer la justice, échapper à la loi, afin de satisfaire des passions, qui font argent de tout. En une sorte de processus de dégénération, des politiciens canailles font prédominer le point de vue de l’extension de leur richesse, en faisant abstraction de ce qui leur appartient en propre, pour accaparer les fonds publics. De la sorte, ils traînent, comme autant de casseroles, des affaires de détournement, ici pour des assistants parlementaires européens, rétribués comme gardes du corps, ou comme propagandistes, là, considérant que l’argent public des indemnités doit avant tout servir à la richesse de la famille – femme et progéniture, quand il s’agit de perpétuer sa propre élection, et tous les désirs parasites d’élévation et de grandeur.
Certes, il y a une science du gain, qui anime ces politiciens, qui les particularise, en tant qu’ils tombent toujours dans les travers financiers. Tantôt, c’est le maire, pris pour lui-même, sortant de ses limites naturelles de gestion, pour des affaires d’envergure, qui le dépassent, c’est le député, dont l’habitus ordinaire est fait de spontanéité familiale, dès lors qu’il se met à disposer de fonds publics! Hélas, c’est par les scandales, que le sens commun parvient à atteindre la vérité des délits. L’être civique, qu’est l’électeur ordinaire, se trouve soudainement déréalisé, par rapport à ces mœurs politiciennes, ici par le plus petit remuement de rumeurs dans le journal quotidien, là par des événements fortuits, mettant en péril l’honorabilité d’une excellence assez connue. Alors, progressivement, les ponts se coupent entre la pensée et la réalité, la boucle est bouclée, c’est le point de départ de l’échec électoral !

N’est- ce pas que les candidats présidentiels visés cherchent à circonvenir les magistrats, de toutes les manières possibles, soit en ne se présentant pas à leurs convocations, soit en se rapportant, comme à un recours en grâce, à la décision populaire suprême, en l’occurrence le suffrage universel. Ces amateurs d’élections et de respectabilité, avant le vote, s’appuient sur leur propre loi de candidats présidentiels, l’imposant alors à tout le système politique et judiciaire, en employant l’esprit d’exception, écartant de la sorte toute convocation, dans une sorte de lessive générale des occasions, des incidents, et des exigences des procédures engagées. Tous ces atermoiements ne visent qu’un but : mettre d’ores et déjà en chantier leur probable immunité, une fois sans doute créée leur chimère d’élection, bien évidemment alors, avec un profit moral considérable, et la capacité de se construire, pendant cinq ans, une nouvelle grandeur d’âme. C’est pourquoi, de part et d’autre, le conflit avec la Justice demeure radical.

Roland Tell