Autour des mémoires de l’esclavage

De qui M. Romana porte-t-il la voix ?

— par Makeda Kandake, ancienne présidente du MIR-Guadeloupe (2015-2016)—

Face au chaos du monde, et aux problèmes aigus que rencontrent de nombreux afro-descendants tant des Amériques, que d’Asie, de la zone Pacifique, et d’Europe, si cet acte de Serge Romana, « hors-monde » , « hors-temps » , nous désole, il ne nous ridiculise pas, car Serge Romana ne nous représente pas.
A l’écoute de Serge Romana qui revendique un destin messianique, je note qu’une fois de plus la communication sur ce crime contre l’humanité s’inscrit dans le registre de l’émotion. Or le sujet relève de l’Histoire. Notre histoire à nous Africains-Guadeloupéens, notre histoire à nous Guadeloupéens, notre histoire à nous êtres humains. Et c’est par la confrontation des arguments basés sur des faits palpables, que nous voulons emporter ce combat pour le triomphe de la Vérité et de la Justice.
Rappelons que c’est à l’issue d’une consultation élargie d’acteurs de terrain et de penseurs engagés, que la proposition du 10 mai a été retenue et présentée au chef de l’Etat français d’alors (J⋅ Chirac) par la présidente guadeloupéenne du Comité de mise en oeuvre de La loi Taubira, Mme Maryse Condé⋅

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.Le 10 mai permettait de saisir le mouvement de notre Histoire, en renvoyant à la fois,
· au caractère visionnaire des combattants martyrs du Matouba affrontés à Napoléon (Guadeloupe, 10 mai 1802) et
· à celui également visionnaire de tous ceux qui partout dans le monde, envers et contre tout, ont poursuivi la lutte de libération nous permettant d’aboutir deux siècles plus tard à l’adoption le 10 mai 2001, par les élus français, de la Loi Taubira ; la marche du 23 mai 1998 à Paris, est un des derniers jalons de cette longue lutte qui a mené à l’introduction, en décembre 1998, par la députée guyanaise Christiane Taubira Delannon, d’une proposition de loi tendant à la reconnaissance de ce crime contre l’humanité de la traite et de l’esclavage, qui fut un crime de l’État français concepteur du Code Noir.

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Qu’un Guadeloupéen remette en cause cet acquis des résistants à l’esclavage colonial et au racisme institutionnel qui en est consubstantiel, nous désole, ainsi que nous l’avons dit.
Certains parmi lesquels Guy Tirolien ont précocement analysé en détail comment Serge Romana « tente de communiquer à tous les Afro-descendants les délires de son identité contrariée » et ont mis publiquement au jour l’« entrepreneur de la mémoire » , l’apôtre du potentiellement lucratif « tourisme mémoriel » , et surtout celui qui s’attèle à substituer à l’investigation historique (libératrice) une investigation familiale, aux fins que les afro-descendants puissent honorer leurs « grands-parents » plutôt que les Africains, « ancêtres imaginaires » et « honteux » ; démarche validée par les Békés et sublimée par l’inauguration officielle de stèles portant mention des noms attribués par l’autorité coloniale aux affranchis de 1848.
Depuis la France, un autre Guadeloupéen, Joss Rovélas, a exhorté à la mobilisation lors de l’annonce en mai 2016 de la mise en place par Serge Romana d’une fondation pour la réconciliation, « nouvelle trahison et humiliation de la communauté des A.D.A (Africains Descendants d’Africains) » ; et Joss Rovélas a alors interrogé et alerté : « La grande masse des A.D.A et les Français de France qui avaient permis l’adoption de la loi du 10 mai 2001, d’abord par le Sénat, en interpellant leurs sénateurs individuellement et collectivement par voie de dizaines de milliers de signatures de pétitions, et en manifestant durant 3 années, vont-ils laisser faire ? »
A l’annonce de cette grève de la faim, le MIR, sous la plume de Me Claudette Duhamel, a dénoncé la trahison patente de celui porté par le puissant lobby béké qui le finance, en vue du verrouillage d’un récit historique officiel falsificateur, mis en péril par des militants qui jour après jour le déconstruisent.
Et le MIR-Martinique avait auparavant relevé le curieux acharnement de Serge Romana, non seulement contre le 10 mai (date officielle de commémoration en France hexagonale), mais contre une autre date de commémoration qui est celle du 22 mai en Martinique.

Depuis 10 ans, M. Serge Romana dénigre deux dates, le 10 mai et le 22 mai et fait l’apologie d’une date, le 23 mai – question ?
Le 10 mai renvoie en particulier à un moment fondateur de la lutte de libération menée en Guadeloupe ; le 22 mai renvoie à la lutte de libération menée en Martinique qui contraint les autorités locales à avancer l’affranchissement général. L’action de M. Romana ne serait-elle pas tout simplement une commande d’un lobby Béké ne sachant plus comment contrer l’inéluctable montée en puissance du Konvwa ba Reparasyon (et des procédures qui en sont l’autre facette) initié en 2001 par le MIR-Martinique présidé par Garcin Malsa ?
On s’interroge! Et puisque M. Romana indique parler « pour les Antillais » résidant en France et même au-delà, nous observons qu’en France il n’y a qu’un seul 14 Juillet. Qu’il n’y a pas une date pour les politiques et une date pour les familles, comme Serge Romana le propose : « Le 10 Mai on célèbre les combattants et la République, le 23 mai nos familles, ceux qui ont souffert » . Ce faisant, quelque part, Serge Romana nous injurie en s’exerçant ainsi à jouer avec notre affect pour nous faire absorber son article. Sachant de surcroît que la Diaspora africaine internationale a mené une longue lutte (à laquelle M. Romana n’a pas pris part) pour l’obtention d’une date mondiale fédératrice pour les victimes de ce mega-crime fondateur des sociétés des Amériques, en l’occurrence le 25 mars, Journée internationale de commémoration des victimes de l’esclavage et de la traite transatlantique.
Makeda Kandake, ancienne présidente du MIR-Guadeloupe (2015-2016)
Texte paru Dans F-A le 19/01/2017

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