Au pianiste il faut un piano !

— Par Roland Sabra —

  La saison du CMAC s’est ouverte avec un très beau concert de Nicolas Stavy qui nous a proposé comme programme le contenu de son dernier CD consacré comme il se doit l’année du bicentenaire de la naissance de Franz Liszt au compositeur hongrois. Peu de musiciens ont autant que Liszt puisé leur inspiration dans les œuvres littéraires. Il laisse d’ailleurs derrière lui une abondante masse d’écrits. Mais ce n’est pas dans ce domaine que le compositeur a brillé de tout son éclat. On dit son style quelque peu ampoulé. L’apport pianistique essentiel de Liszt se situe dans le domaine de l’impressionnisme musical dont il sera l’initiateur et qui triomphera avec  le poème symphonique de Claude Debussy « Prélude à l’après-midi d’un faune« . Transposition musicale du sonnet des couleurs de Rimbaud ( A noir, I rouge, U vert, O bleu : voyelles Je dirai quelque jour vos naissances latentes…) il existerait des correspondances entre couleurs et musique. Il s’agit de rompre avec la linéarité de l’écriture et de favoriser l’émergence d’une succession d’impressions en utilisant toutes les sonorités du piano et en accentuant à l’extrême les diverses intensités du toucher de clavier. Au risque de verser quelques fois dans le maniérisme.

Nicolas Stavy a su nous restituer toute la complexité et la sophistication des créations de Franz Liszt et notamment l’incroyable modernité du maître hongrois qui annonce et préfigure le XXème siècle. La maîtrise technique était au rendez-vous, n’a manqué que l’émotion. Sans doute par la faute de l’invraisemblable antiquité qui servait de piano. Un Steinway à bout de souffle, doté d’un fauteuil grinçant, couinant dont les gémissements étaient à peine à peine couverts par les forte assénés plus que projetés. Ce concert a été un combat entre l’instrument et son maître, et c’est dans le morceau du rappel en fin de concert, L’arabesque op. 18 de Schumann, que l’archaïsme du piano est apparu avec toute sa force. Déjà auparavant « Le sonnet  de Pétrarque » ,  » Bénédiction de Dieu dans la solitude » avaient été mouliné par le Steinway rappelant a contrario que Liszt lui-même utilisait des pianos révolutionnaires pour son époque. Le talent du pianiste était là, mais l’outil piégeait l’émotion jusqu’à l’étouffer. Un ami musicien , à la fin du concert, recommandait un Steingraeber à la sonorité plus appropriée aux œuvres lisztéennes. Le poème symphonique « Du berceau jusqu’à la tombe » en deuxième partie, est trop peu connu pour que l’on puisse se prononcer. Mais c’est en tout cas le mérite de Nicolas Stavy que de l’avoir fait découvrir au public martiniquais venu en petit nombre  et c’était somme toute bien dommage.

R.S. le 08/10/2011