« Argent amer » : les écailles du dragon

— Par Selim Lander —

Pour clôturer la première session « cinéma » de l’année, un documentaire très impressionniste sur la jeunesse chinoise déracinée qui survit dans la jungle de l’économie informelle chinoise. Une plongée dans le lumpen proletariat moderne dont on attendait beaucoup tant on est avide de savoir ce qui se passe réellement en Chine, au-delà des gratte-ciel de Shanghai. C’est peu dire que l’Empire du Milieu fait peur. Si l’expression « péril jaune » a pu paraître excessive à sa naissance, elle est parfaitement justifiée à l’heure où la Chine est en passe de devenir le nouvel hégémon, si ce n’est déjà fait. Les Etats-Unis, qui voudraient bien conserver leur domination sur la planète, n’en peuvent mais. Ils sont liés par une consommation excessive qui les a rendus débiteurs de l’atelier du monde. En caricaturant, aux Etats-Unis on consomme, en Chine on fabrique (y compris les produits « américains » d’Apple et autres). Avec 3000 milliard de dollars de réserve, la Chine tient les Etats-Unis et la planète dans sa main. L’offensive économique qui se traduit en particulier par le rachat de fleurons de l’économie occidentale (le Club Med, Peugeot… pour s’en tenir à la France) se double d’une offensive plus brutale, comme en mer de Chine du sud où des îlots contestés sont occupés à la barbe des autres Etats riverains.

Si les Chinois dans leur ensemble profitent des retombées de cette puissance, avec une élévation notable du niveau de vie moyen, dans le communisme (sic) à la chinoise les inégalités demeurent criantes entre les magnats de la finance qui vivent dans un luxe effréné et les prolétaires au bas de l’échelle qui survivent dans des conditions misérables ! Grâce soit rendue à Wang Bing d’avoir braqué sa caméra sur quelques-uns de ces derniers.

Il est tout d’abord remarquable que son film ne traduise aucun désespoir. Les jeunes gens (la plus jeune a quinze ans) auxquels il s’intéresse ont beau travailler jusqu’à seize heures par jour dans des micro-ateliers de confection et se loger misérablement, on ne sent chez eux aucune velléité de révolte. Le moins courageux décide simplement de retourner dans son village : la contestation s’arrête là ! Cet état d’esprit en dit long. Que ce soit ou non un héritage du confucianisme, le peuple chinois se montre discipliné (ce qui permet le maintien au pouvoir de la dictature qui persiste à se baptiser communiste sans susciter une contestation importante) et laborieux : la conviction est bien ancrée qu’on peut toujours améliorer son sort en travaillant.

Si le film montre bien cela, c’est là son seul enseignement. Pour le reste, plus précisément tout ce qui concerne l’économie du système des ateliers de confection, aucune information n’est donnée. Tout au plus croit-on deviner que les ouvriers sont payés à la tâche et que le travail est très parcellisé, la marchandise passant d’un atelier à l’autre (d’une micro-entreprise à l’autre) au cours du processus de fabrication.

Fallait-il deux heures quarante minutes pour montrer si peu ? Certes les plans séquence interminables au cours desquels il ne se passe rien convoient bien le sentiment d’ennui qui saisit les jeunes ouvriers du film pendant et en dehors du travail. Ils le convoient même si bien que les spectateurs les moins endurcis finissent par déclarer forfait…