Archie Shepp et Rocé, rencontre au sommet de deux esprits libres

—Entretien réalisé par Fara C.—
shepp_roce-325Dans le sillage de la sortie de leurs albums respectifs, Rocé a invité Archie Shepp au Bataclan, le 10 décembre. Discussion à bâtons rompus avec le légendaire saxophoniste et le franc-tireur du rap.

Qu’est-ce qui vous a interpellé, Rocé, chez Archie Shepp ?
Rocé. J’ai tout de suite perçu, dans sa musique, davantage que de la musique : une conscience politique. J’avais lu des interviews de lui et des passages le concernant dans le livre Free Jazz, Black Power, de Philippe Carles et Jean-Louis Comolli. Parmi les albums d’Archie qui m’ont secoué, il y a eu Coral Rock et Attica Blues, dont il a récemment sorti une nouvelle version, magnifique.
Archie Shepp. J’ai accepté l’invitation de Rocé, en 2004, sur deux morceaux de son disque, Identité en crescendo, parce que j’appréciais vraiment le mélange stylistique qu’il avait opéré : hip-hop, jazz, musique de danse… Je suis convaincu qu’il existe un continuum entre le blues, le jazz, le funk, le hip-hop, le slam… Certains éléments proviennent de racines africaines communes. Le show-biz a établi des classifications pour des raisons commerciales.

Quels ont été vos premiers héros ?

Rocé. Mon père. Par sa modestie, sa persévérance, il a constitué un exemple décisif pour moi. J’ai décidé de travailler à long terme, comme je l’ai toujours vu faire, et de construire mon parcours de rappeur non pas en cavalant après un succès facile, mais dans l’exigence. Bien sûr, ma mère a, elle aussi, été pour moi un repère capital.

Votre papa a pris part à de nombreuses luttes. Votre sœur raconte son étonnante histoire dans le livre Adolfo Kaminsky, une vie de faussaire (1)…

Rocé. Oui, il a passé une trentaine d’années dans la clandestinité, fabriquant des faux papiers, d’abord pendant la Résistance, ensuite en faveur des luttes anticolonialistes et antifascistes, du FLN en particulier, des déserteurs de la guerre du Vietnam… Il restait dans l’ombre, sans se soucier de récupérer une médaille, parce que ce n’était pas dans son esprit et que, de toute façon, il ne savait pas s’il allait s’en sortir, c’était la course pour sauver des vies. Il avait été interné à Drancy et avait expérimenté que tout pouvait soudain basculer. Ce modèle de pugnacité et d’intégrité m’a forgé.

Archie Shepp. Je répondrai exactement comme Rocé. Mes deux parents ont été mes premiers héros. Avec ma mère, qui se distinguait par sa gentillesse et sa sensibilité, je pouvais parler de tout. Elle était ma confidente. Comme beaucoup de pères à l’époque, mon papa parlait peu. Mais chaque fois qu’il le faisait, c’était toujours pour dire quelque chose d’essentiel. Il jouait du banjo et m’a transmis son amour de la musique. Il possédait une kyrielle de disques. C’était un homme solide et original.
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