Anderson Dovilas : un poète aux métaphores infinies

— Par Dana Shishmanian —
anderson_dovilasNé à Port-au-Prince (Haïti), Anderson Dovilas a publié en France, au Canada, et aux Etats-Unis. Il est poète, auteur dramatique et comédien. Il a fait des études de linguistique à la Faculté de Linguistique Appliquée de l’Université d’Etat d’Haïti. Et des études de psychologies inachevées à la Faculté d’Ethnologie de l’Université d’Etat d’Haïti. Passionné du devenir des mots et militant politique ; Il possède la force et la tendresse de son âge. Le courage et la volonté sont ses armes, auxquelles s’ajoute le charme pimenté d’un goût de vivre qui lui attire toutes les sympathies (…) Il est sans doute l’un des plus grands poètes de sa génération avec des métaphores infinies a déclaré Denise Bernhardt poétesse Française.
Maniant un langage poétique fait de ruptures de plans, d’images disparates, de glissades ludiques, de trouvailles provocatrices, le poète jongle en fait au-dessus d’un abime bouillonnant de lave : c’est le sang de son peuple, qui s’élève soudainement au détour des vers, tel une lame de fond, rasante et bouleversante, projetée par un océan en feu. Son programme littéraire est étroitement lié à un projet de société.

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Retrouvailles

Venant des rosées complices de larmes, ton souffle est vieux d’un cri robuste élan d’orgasme. Chevelure au sens des arbres obéissants, le vent s’avoue patriotique d’odeurs et de vertiges.
Ma patience est longue à dévoiler ma peur
Je marche vers toi de songe et de transe
Rien ne m’oblige à marcher
Rien ne m’assure les pas
Broncher sur mon cœur
Je voyage le long de ton visage
Jusqu’à ce que les jours s’éteignent d’étoiles
Que ne sais-je de tes seins,
Si ce n’est qu’ils sont enflés de chaleur
À bronzer mes lèvres de soif
Et de phrase sèche de silhouette
Que ne sais-je de ta bouche
Si ce n’est que tes baisers sont bons à mon âme
Comme un sceau à remède de papier musclé de mots
Venant de la poussière trébuchant des jours rouillés, tes yeux haussent la magie du crépuscule. Une beauté troublante dans un corps qui n’a pas d’ancêtre. D’un regard innocent le soleil fait ses adieux d’homme à la nuit au souffle frais.
Ton ombre chausse mes bras dans le mutisme des jours de fête.
Aujourd’hui je danse encore,
Plein de pas sur les lieux
Demain je reviendrai sur la piste
Meublée de geste vide, d’errance et d’envie
Et s’il fallait encore m’humilier la main tendue
De sueur et d’incertitude,
Je resterai moi-même
Cobaye des cœurs qui s’agenouillent
Inlassablement je fais confiance aux pages blanches, aux rossignols et aux poètes. Je fais confiance à ma solitude, aux vents léchant l’instant, aux rires muets que j’accuse baisés.
Et avant que tu ne te sois enivrée de paroles sauvages,
De silence piment-bouc sans pitié pour tes veines
Avant que des murmures ne murmurent tes chants inédits,
Comme un marathon de couleur chassant la pluie au regret des plantes
S’ils te diront je t’aime à point fermé
Je suis la paume qu’ils écrasent
S’ils veulent t’entendre prononcer des mots difficiles
Dis-leur tout simplement

Que la voix est un intime instrument.

Anderson Dovilas
Extrait de Mémoire d’outre-monde.

 De l’autre coté de la mer

Méfie-toi de Gaza
Et de ses blessures hantées
Par le sable mouvant
Il est rituel chez eux
Que des poèmes cagoulés de supplice amers
Enfantent des promesses de sang sur les murs
En guise d’écriteaux
Quelle est cette langue
Que nous parlons
En épousant la mort ?
Enfant de mauvaise lune
Tes rêves appuyés sur la gâchette
Ne prolongeront pas tes bras
Hélas !
Tu es venue au monde
A l’ère truquée
Il ne reste aucun mystère
Sous la montée des vagues
L’arme qui tue
Sera condamnée par défaut d’être métal
Et le meurtrier déguisé
En franc tireur
Nous vivons des marges obscènes
En décadence apocalyptique
Des regrets pour la moisson du jour
Nous sommes au temps des cicatrices
Et la nuit a déjà fait sa preuve
Dans nos deuils
Gaza de Port-au-Prince
Gaza de Lybie
Gaza de partout
Les chars ont brulé les arbres
Jusqu’à retarder l’aube
Tandis que les cœurs battants
Sous des projectiles
Avilissent la beauté de ce monde
Comme une grenouille qui voit sa fin
Sur des chansons de mauvaises haleines
Méfie-toi de Gaza
Et des autres paradis
Décolorés par les grands journaux…

Anderson Dovilas
Extrait de Mémoire d’outre-monde.