Alain Badiou, des printemps aux révolutions

— Par Anna Musso —

badiou_reveil_histInvité de l’Institut du monde arabe, le philosophe a déplié de façon progressive, vivante et accessible, son raisonnement sur «les promesses» des «émeutes» qui ne sont pas (encore?) devenues «révolutions» dans les pays arabes. Récit.

Comment interpréter les événements qui se déroulent dans plusieurs pays arabes, depuis deux ans? Les soulèvements populaires, le renversement des pouvoirs autocratiques, les procédures électorales incertaines, le retour de l’islamisme politique, les coups d’État inattendus interrogent le monde entier sur le sens de ces mouvements et leur issue. Peut-on les qualifier de révolutions? Ouvrent-ils la voie à de nouvelles politiques ou bien au contraire importent-ils de vieux schémas?

Salle comble

Invité, dans le cadre des rencontres organisées tous les jeudis par l’Institut du monde arabe, à analyser la signification à donner aux révoltes dans les pays arabes, le philosophe Alain Badiou a, sans surprise, fait salle comble le 21 novembre dernier à Paris. «Sommes-nous contemporains d’un événement politique à la portée universelle qui s’est produit dans un lieu particulier, le monde arabe?» a-t-il questionné en introduction, avant de déplier de façon progressive, vivante et accessible, son raisonnement sur «les promesses» des «émeutes» qui ne sont pas (encore?) devenues «révolutions». Une thèse qu’il avait largement commencé à développer au début des printemps arabes en 2011, dans son livre le Réveil de l’histoire  (Éditions Lignes).

«Nouvelle vérité politique»

Pour comprendre et analyser les soulèvements dans les pays arabes, il est, selon Alain Badiou, indispensable de distinguer d’une part, «l’événement historique», qui rompt avec la stabilité d’une situation et constitue une promesse de commencement, et d’autre part, une «création politique» différente des modèles déjà connus, qu’il s’agisse de la «démocratie» du capitalisme occidental, du nationalisme ou du socialisme des États socialistes. Cette «nouvelle vérité politique», à la croisée des chemins entre communisme et modernité, serait, elle, une véritable révolution.

Unité dans la négation

«Nous sommes face à la question de la relation entre création politique et événement historique. Or, l’événement crée une possibilité politique nouvelle seulement si sa forme créatrice ne se réduit pas à un mot d’ordre tactique négatif», explicite le philosophe. On se souvient des centaines de milliers de personnes scandant «Moubarak dégage!» en Égypte, ou «Ben Ali dégage!» en Tunisie. Or, si le mouvement populaire a trouvé son unité dans la négation de l’État, la création d’une nouvelle politique suppose, elle, la réunion de toutes les composantes du mouvement dans une affirmation de ses principes propres, insiste Alain Badiou. C’est pour ces raisons que, «jusqu’à présent, les émeutes du monde arabe ont échoué à ouvrir la possibilité d’une nouvelle politique radicale, et laissé la victoire, provisoirement, aux mains de vieux schémas», conclut le philosophe, avant de partager avec la salle les derniers vers d’un poème du Palestinien Mahmoud Darwich, au titre visionnaire, les Promesses de la tempête.

« Je continuerai de chanter la joie

enfouie sous les paupières des yeux qui ont peur

car le jour où la tempête s’est déchaînée sur mon pays,

elle m’a promis du vin et des arcs-en-ciel. »

A lire aussi:

La République badiousienne, par Cynthia Fleury

Pouvoir(s), par Jean-Emmanuel Ducoin

Anna Musso

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