Aimé Césaire

 

— Par Pierre Pinalie —

aime_cesaire-9_300Blanc des Antilles, père de deux fils métis, je ne pouvais pas ne pas être très sensible à la mort d’Aimé Césaire. Totalement dépourvu de religion, j’ai été profondément touché par la dimension laïque de la cérémonie d’inhumation au stade Aliker, même si l’agréable et intelligent personnage Michel Méranville était présent en habit ecclésiastique. La dimension sublime de cette vaste réunion d’hommage au disparu m’a ému dans des frémissements dus à la peine et à l’admiration.

Communiste dans l’esprit et dans la culture, je ne peux évidemment pas oublier que le grand poète l’était également et avait quitté le Parti après les très regrettables événements de Budapest, comme je l’ai fait moi-même après la condamnable entrée des forces de l’Est dans Prague.

Et je ne peux jamais cesser de repenser que j’ai été pendant 10 ans professeur au Lycée Louis-le-Grand où l’élève d’hypokhâgne Césaire avait connu Léopold Sédar Senghor. Et ces pensées m’ont souvent poussé à imaginer cette rencontre dans des salles où j’enseignais.

Et quand j’avais commencé mes études à Rouen, j’avais été membre de l’Association Générale des Étudiants, reliée à l’UNEF, et j’avais été directeur du journal étudiant que nous avions appelé « Caliban » et dans lequel nous publiions des articles sur la Négritude et les Antilles. En particulier, en février 1963, un texte intitulé « Nos dernières colonies » dénonçait « le caractère illusoire de la doctrine d’assimilation, le « nœud coulant de l’assimilation » dont parle Aimé Césaire ».

En 1986, j’avais découvert chez un bouquiniste des quais de la Seine, « La Martinique, charmeuse de serpents » d’André Breton, et en consultant ce remarquable ouvrage publié en 1948, j’ai pu relever dans la joie littéraire quelques révélations sur le « Cahier du retour au pays natal ». C’est, en effet, au hasard de l’achat d’un ruban pour sa fille qu’André Breton découvrit le premier numéro d’une revue intitulée « Tropiques ». Il nous dit qu’Aimé Césaire lui fit présent de son « Cahier du retour », et il affirme qu’il s’agit du plus grand monument lyrique de ce temps, document unique et irremplaçable. Il conclut d’ailleurs en disant que « la parole d’Aimé Césaire (est) belle comme l’oxygène naissant ».

Une réunion publique récente en l’honneur d’Aimé Césaire sur la place de la Sorbonne m’a également rappelé que j’ai vécu 8 ans dans un studio situé sur cette place, et j’ai ainsi pu constater que les lieux qui avaient été fréquentés par le poète, restent habités par un profond souvenir. On peut ainsi en déduire que la Martinique restera éternellement marquée par son enfant devenu son père, et on peut aussi remercier Delanoë, le maire de Paris, d’avoir l’intention de donner le nom d ‘Aimé Césaire à une grande artère de la capitale.

Il faudra se rappeler le comportement noble, enthousiaste et touchant de la grande foule martiniquaise, et la dignité respectueuse et modeste des personnalités. Président, ministres, élus politiques, écrivains, artistes et journalistes ont été réellement admiratifs en face du personnage disparu, et calmement joyeux d’être venus dire adieu au grand poète, inimitable représentant du peuple et irremplaçable porte-voix de cette Négritude face au reste du monde. Et comment pourrait-on passer sous silence l’attendrissante prise de parole de Pierre Aliker qui ne dispose plus d’une bonne vue à 101 ans, mais qui n’a rien perdu de l’élégance et de la force de ses propos. Et le tonnerre d’applaudissements qui a conclu son intervention était la preuve du désir de la foule de remercier le disparu par l’intermédiaire du survivant centenaire.

J’ai également été séduit par les commentaires sur la cérémonie prononcés par Yvan Labéjof à la télévision sur RFO, en revivant dans le souvenir les scènes de théâtre jouées par cet excellent comédien à partir des écrits de Léon-Gontran Damas, troisième grand personnage de la Négritude. J’ai bien sûr été très touché également par le comportement élégant de Joseph Nodin et par l’élocution enthousiaste de Serge Bilé. Et bien évidemment, les comédiens qui ont lu des textes du poète en réponse aux pertinentes et élégantes phrases de l’écrivain Daniel Maximin, ont marqué cette grandiose fête d’une fondamentale empreinte césairienne, ce qui aurait pu durer jusqu’à la nuit.

Je me sens totalement incapable de dire comment et pourquoi cet après-midi du 20 avril 2008 a été un tel long moment d’une grande intensité émotionnelle, et la démonstration visuelle de la grandeur du pays Martinique, à partir de l’indéniable immensité du défunt que l’on inhumait. Mais je dirai : « Oui, Aimé Césaire était un personnage exceptionnel, et il le restera toujours. Gloire à son nom ! »

Pierre PINALIE