Aimé Césaire : une voix singulière

— Par Thierry Leclère —


aime_cesaire-9_300« Laissez entrer les peuples noirs sur la grande scène de l’histoire ! » A la tribune de l’amphithéâtre Descartes, à la Sorbonne, Aimé Césaire conclut sous les applaudissements un fougueux discours brossant le portrait d’une culture noire mutilée par le colonialisme. Nous sommes en juin 1956, en pleine effervescence tiers-mondiste, un an après la réunion de Bandung, qui a lancé le mouvement des non-alignés autour de chefs d’Etat comme Nasser, Nehru et Zhou Enlai. Aimé Césaire est l’un des acteurs clés de ce premier Congrès des écrivains et artistes noirs, une réunion historique qui rassemble à Paris, pendant deux jours, la fine fleur de l’intelligentsia noire. Senghor, Fanon, Ba, Alexis… ils sont tous là, y compris les Noirs américains comme l’écrivain Richard Wright qui apprécieront modérément que leurs collègues les considèrent, eux aussi, comme des colonisés en leur pays ! Les débats sont exaltés, les discussions continuent, tard le soir, dans les cafés du Quartier latin et dans la librairie Présence africaine, rue des Ecoles, haut lieu historique de la culture noire. En pleine guerre froide, la CIA et le KGB surveillent ces influents intellectuels que chaque camp aimerait faire tomber de son côté. Mais les écrivains engagés de ce premier congrès noir (le réalisateur Bob Swain est en train de tourner un documentaire à l’occasion de ce cinquantenaire), en 1956, ne tomberont pas dans le piège. Quelques semaines plus tard, alors que la révolte gronde à Budapest, Aimé Césaire rompt d’ailleurs avec le Parti communiste français : dans une fracassante Lettre à Maurice Thorez, il évoque non seulement « la stupeur, la douleur et la honte » face aux crimes de Staline, mais il critique aussi le PCF, qui refuse de voir la « singularité » du combat des Noirs dans le monde. Une rupture précoce et courageuse qui « nous a montré la voie », dira plus tard l’écrivain brésilien Jorge Amado.

Thierry Leclère

Les éditions Présence africaine ont réédité le numéro spécial de leur revue consacré au congrès noir de 1956. Un document historique passionnant, empreint des fièvres libératrices de l’époque (librairie Présence africaine, 25 bis, rue des Ecoles, Paris 5e).


– Télérama 13 mars 2006