Aimé Césaire, Lam, Picasso. « Nous nous sommes trouvés » : chefs-d’oeuvre, mode d’emploi

— Par Christian Antourel & Ysa de Saint-Auret —

cesaire&lam&picassoL’un des aspects les plus remarquables de la vie de ces trois  hommes est la chance de s’être trouvés et d’avoir su donner à  cet élan la force d’un étendard. Car, « quand le monde fléchit autour de soi, quand les structures d’une civilisation vacillent, il est bon de revenir sur ce qui, dans l’histoire, ne fléchit pas, mais au contraire redresse le courage, rassemble les séparés, pacifie sans meurtrir. Il est bon de rappeler que le génie de la création est, lui aussi, à l’œuvre, dans une histoire vouée à la destruction. »

Suivant la chronologie de leur vie, tout   parcours  Picasso  Lam Césaire
se doit d’aboutir  à un idéal, celui où l’illusoire et le réel se rencontrent, se heurtent, se laissent saisir par le même regard.
Lam, né d’un père chinois lettré, de Canton et d’une mère métisse africaine et espagnole, quitte l’Espagne et arrive en France en 1938. Grâce au sculpteur Manolo il rencontre Picasso à Paris qui le présente à Miro, Matisse, Breton, Eluard…Outre une langue qu’ils ont en commun, c’est une fructueuse rencontre entre les deux hommes. En 1941,Lam réfugié à  Marseille quitte la France pour l’Amérique en bateau avec l’aide  de l’Emergency Rescue  Committee, en compagnie d’intellectuels et d’artistes fuyant le nazisme (Breton, Anna Seghers, Victor Serge, Claude Levi-Strauss) Lors d’une escale à la Martinique Lam rencontre Aimé Césaire, avec qui il noue une amitié indéfectible et constructive. Puis il rejoint Cuba son île natale, quittée en 1923, non sans avoir emporté dans sa mémoire le souvenir de la forêt martiniquaise d’Absalon, dont il tirera  son célèbre tableau « La Jungle »en 1943.

Leur coexistence devient productrice de sens

Césaire et Picasso, eux, se rencontrent  en Pologne en 1948, à l’occasion du Congrès de la Paix. Ils se rendront ensemble au camp de concentration d’Auschwitz- Birkenau. En 1950 paraît l’ouvrage  « Corps perdu » réunissant dix poèmes de Césaire,  illustré de trente deux gravures de Picasso., dont une, frontispice du recueil représentant une tête de nègre « debout et libre » nommée « Poète couronné » Un lien commun complémentaire unissait encore  ces trois  artistes : une attirance pour les masques africains.
Dans  leurs disciplines respectives, les éléments hétérogènes se complètent et s’unifient sans se nier. De plus, cette synthèse ne vise pas la juxtaposition, l’accumulation, la surcharge, mais au contraire redouble de virtuosité par l’épure, la transparence, la simplification, la grâce, qui permettent de  définir certaines composantes fondamentales  du plaisir artistique. L’aspiration clarificatrice tient lieu d’éthique picturale et poétique, de dynamique spirituelle.

Ce triple miracle qui les a réunis en une unité de talent

La maitrise d’un genre ne pouvant que renforcer celle d’un autre genre. Leur coexistence  devient productrice de sens. Une lumineuse leçon
de fusionnement,  représentatif de ce que  l’on peut appeler l’art et la manière,  sur la relation qu’engage l’art avec ce qui est de l’ordre de  la
transcendance, de l’érotisme, de l’universel. Et plus précisément sur ce qui fait le génie. Ils ont tout tenté et tout réussi. Ou presque. D’un bout à l’autre
de leur activité créatrice, et avec un bonheur  quasi égal. On pourrait lister ici tous les titres, toutes les œuvres qui ont traversé le temps, évoquer les raretés comme « Cahier d’un retour au pays natal » « Moi laminaire,»  « Discours sur le colonialisme » ou encore cette « Tête à la coiffe »et ce « Poète couronné »voire  « Madame Lumumba » et « Lumière de la forêt »ou discourir sur leur aptitude à épouser les reliefs de la vie. L’évolution et la variabilité des goûts, ne suffisent pas à expliquer cet extraordinaire rapprochement, ce triple miracle qui les a réunis en une unité de talent  par delà la versatilité légitime des styles, et une constante inventivité, une haute qualité esthétique, même en dilettante. Par cette
correspondance qui existe entre les arts,  comment passe t’on de la pure sensation a la conscience ? Comment l’écriture peut elle rendre  compte de l’émotion picturale,  devancer le trait, lui dire sa musique ? Et la peinture sait elle dessiner la géographie spirituelle d’un authentique talent  épistolaire et littéraire ? La création afflue en eux et coule à travers eux, de  même que  la peinture comme la poésie  écrivent  la vie en écoutant battre la vie.

UNE ŒUVRE COMMUNE

« Corps perdu » Histoire d’une rencontre. C’est en 1949 que la parole de Césaire est enluminée par Picasso. Les poèmes sont encore imprégnés d’une vision idyllique propre à la Caraïbe. Bien que moins virulents les poèmes conservent une certaine âcreté : « Etre noir c’est être pire que le curare, laid comme tout pouacre de parasites » Picasso acquiesce « un poème ne se comprend pas, on se reconnait en lui »Le peintre en écho de l’œuvre du poète imagine des femmes-fleurs, des hommes- plantes, des sexes- racines.
Lam, s’engage dans une réflexion semblable à celle de Césaire, peindre le drame de son pays, prendre fait et cause  pour les noirs .Il a inventé un langage pictural combatif. En 1981, Lam très malade exprime à son frère d’élection son souhait de voir se concrétiser un vieux projet commun. Ainsi nait « Annonciation »  un quatre mains  de poèmes et gravures.

Pratique : Dans le cadre de la célébration du centenaire de  la naissance d’Aimé Césaire, la Fondation Clément offre cette exposition à la Martinique.
Du 8 décembre  2013 au….. 16 FEVRIER 2014.
Habitation Clément au François
Horaires : de 9h à 18 h tous les jours.
Gratuit et ouvert à tous.
Contact : 0596. 54. 75. 51.