A propos de la violence dans les collèges.

 

— Par George HUYGHUES DES ETAGES, psychologue, auteure d’ouvrages éducatifs –

Incivilités, ports d’armes, rackets, agressions diverses à l’encontre de professeurs comme d’élèves : voici le lot quotidien de beaucoup de collèges. L’inquiétude des enseignants, des parents et des élèves eux-mêmes va croissant à tel point que certains enfants craignant le passage en 6ème avouent préférer redoubler leur CM2 et que d’autres (des filles en particulier) « prennent leurs précautions » en “s’armant” pour parer à toute éventualité.

Il faut dire que la violence, qui est l’expression de l’agressivité que nous portons tous naturellement en nous, commence très tôt, dès la conception pourrait-on dire. C’est cette force qui nous pousse à agir pour obtenir la satisfaction de nos besoins vitaux, ce dynamisme qui nous permet de lutter, de nous affirmer, de survivre et que nous retrouvons positivement dans la compétition, l’émulation. Mais, si elle n’est pas circonscrite, canalisée, sublimée, dérivée vers des objets et des buts louables, elle devient excessive et – sous l’influence de la frustration, de l’insatisfaction excessive – se transforme en agressivité négative et inadaptée. La violence est multiforme, dirigée contre soi ou contre les autres, verbale, physique, psychologique. Elle se retrouve déjà sous sa forme brute, « sauvage » dès la crèche et la maternelle où elle est plus facilement maîtrisable car individualisée. Mais le collège est le lieu privilégié où se regroupent les pré-adolescents, c’est à dire ceux qui jouissent d’une certaine autonomie et d’une solidarité de groupes, en pleine pubescence : cette période d’affirmation de soi par opposition aux normes familiales comme sociales, de révolte, de narcissisme extrême, de besoin de reconnaissance et de valorisation de soi, de défi et de prise de risque, de génitalité naissante et de nécessité de choix existentiels et donc d’angoisse.

Dans ma pratique professionnelle, j’ai eu à rencontrer beaucoup de jeunes s’étant rendus coupables d’actes violents et délictueux dans et hors de leurs établissements scolaires à l’encontre de camarades ou de professeurs. Les résultats de dépistages effectués par mes soins, concernant des collégiens blâmés (pour problèmes scolaires et comportementaux) permettront, je l’espère, d’avancer dans la compréhension de ces faits et d’aborder des solutions.

Après entretien et testing d’élèves blâmés de 5ème et 4ème(dont une majorité de garçons) de 12 ans ½ à 15 ans, des constantes ont été relevées :

I – REDOUBLEMENTS TARDIFS :

La plupart de ces élèves ont redoublé une ou plusieurs classes et ces redoublements ne sont intervenus qu’à la fin de la scolarité primaire (CM2) ou au début du cycle secondaire (6ème) trop tardivement. Le passage au collège s’est fait avec des lacunes qui ne leur permettent pas d’être au niveau de leur classe..

Plusieurs élèves gardent des séquelles de trouble orthophonique et auraient dû bénéficier dès le CP d’une rééducation –

II – ACCUMULATION D’ENORMES LACUNES DIFFICILES A PALLIER SANS AIDE :

Ces enfants d’intelligence normale (obtiennent des scores moyens aux épreuves de raisonnement et de logique) n’ont pas acquis les connaissances de base nécessaires à une scolarité normale :

– la lecture n’est pas toujours courante (1/4 seulement lit couramment), elle reste syllabique parfois à la limite du déchiffrage avec incompréhension du texte lu – 

  • l’orthographe est incorrecte pour tous avec fautes d’accords par manque d’analyse et méconnaissance de graphies usuelles pour l’âge – La majorité ne reconnaît ni les sujets ni les temps des verbes –

  • en mathématiques, la plupart ne connaît pas les tables de multiplication et ne maîtrise pas la réversibilité addition/soustraction, multiplication/division – ne réussit pas les opérations même les plus simples mentalement –

III –ABSENCE OU INSUFFISANCE D’AIDE ADAPTEE :

  • peu ou pas de bilan orthophonique –

  • peu ou pas de lunettes correctrices (certains ne les portent pas – d’autres n’en ont pas ou refuseraient d’en porter )

  • peu ou pas de soutien scolaire par parents ou répétiteur –

  • peu ou pas d’ordinateur ni même d’encyclopédie à disposition – (peu de fréquentation de la bibliothèque municipale ou du collège)

IV – PROBLEMES SOCIO-ECONOMIQUES ET PSYCHOAFFECTIFS :

Chez ces collégiens d’intelligence normale et parfois même d’une précocité intellectuelle non décelée et non exploitée, ne souffrant pour la plupart d’aucun trouble médical, neurologique, psychologique grave (il est vrai que la surdité comme l’hypoacousie, l’épilepsie comme l’épileptoïdie, l’entrée dans un trouble psychotique, s’accompagnent souvent de comportements clastiques), j’ai retrouvé un sentiment général de rejet et d’injustice, dans un contexte objectif d’exclusion.

La plupart d’entre eux sont en effet exclus du système scolaire : en échec à l’école, ce qui laisse place à l’oisiveté, à la vacuité de l’esprit que ne comble aucune activité extrascolaire enrichissante ; largués, dépassés, ils n’ont pas pu bénéficier des aides adaptées ni spécialisées que réclament leurs difficultés . Certains se retrouvent même en butte à la maltraitance d’un milieu scolaire incompréhensif, méprisant, voire créolophobe et raciste .

En exclusion sociale : car issus de familles en précarité économique qui ne peuvent les faire accéder aux attributs (vestimentaires ou autres) d’intégration à leur groupe d’âge ;

En exclusion familiale : car abandonnés et niés par un père absent de corps ou d’esprit, une mère elle-même perdue dans un monde désormais sans solidarité.

Les problèmes généralement liés à la période pubertaire sont ici exacerbés par ces sentiments d’injustice et d’impuissance (alimentés parfois par l’attitude pas toujours bienveillante de l’équipe éducative) chez ces jeunes, souffrant pour la plupart de trouble du schéma corporel (enfants mal dans leur peau), d’autodénigrement et de dévalorisation de soi causés par la conscience de disgrâces physiques réelles ou supposées :  obésité, petite taille, couleur de peau, traits ingrats, etc… et qui, n’ayant pas les moyens de leurs prétentions (un voudrait être footballeur professionnel, une autre athlète de haut niveau sans possibilités financières de s’affilier à un club, un autre rêvait d’être vétérinaire, une autre avocate par ex) extériorisent leur malaise par ces conduites compensatoires agressives de prestance et de parade qui leur permettent corrélativement d’assouvir– de façon certes maladroite – leur profond besoin de reconnaissance et de forcer sinon l’admiration du moins le respect même craintif des autres.

Et ceci d’autant plus qu’ils me sont apparus déjà fragilisés par une éducation qui n’a pas su les préparer efficacement à réussir leur scolarité, ne les a pas habitués à affronter les difficultés, ne leur a pas appris à tolérer les frustrations, à accepter les défaites et les déceptions, à mériter et à attendre les récompenses, à exprimer de façon socialement correcte leurs manques et leurs souffrances, à résister à l’attraction des paradis artificiels.

Dans ce constat,, je n’accuse pas les parents qui, pour la plupart, ignorent eux-mêmes la fonction humanisante et médiatrice de la parole, la nécessité de dire leur amour tout en posant les limites, leur véritable pouvoir sur le devenir de leurs enfants dont ils sont les protecteurs, les guides et les modèles, le rôle essentiel des pères garants de la loi et de l’autorité dans ces familles où la communauté a perdu sa place d’antan. Ces parents sont englués dans une société de consommation pseudo-développée, où la publicité et la mode font loi, véhiculées par les media dont malheureusement peu montrent leurs préoccupations éducatives, ou paraître a pris le pas sur être, où la rébellion se trompe de cible, se fait mawonaj maladroit et inadéquat et se mue en compère lapinisme, où des adultes hors la loi se donnent en exemple à une jeunesse maintenant lucide et qui ne s’en laisse plus conter et mener en bateau.

QUELLES PISTES POUR LA RE-MÉDIATION ?

La remédiation devrait consister en :

  • consultations spécialisées : bilans orthophoniques – ophtalmologiques – neurologiques – d’hygiène mentale –

  • prise en compte des problèmes socio-économiques des familles ( assistante sociale)-

  • soutien psychopédagogique apportant les connaissances manquantes et la motivation –

  • orientation plus conforme à leurs compétences (SEGPA, CFA, classes-relais, etc…)(voir conseillère d’orientation-psychologue)

  • guidance parentale

  • rappels à l’équipe éducative de l’état psychologique et de la fragilité, de la susceptibilité, de l’impulsivité des adolescents qu’ils ont en charge et des conduites à tenir –

Il faudrait agir vite avant que ne s’installent la désespérance, la fuite dans le suicide, dans les paradis artificiels ou l’imaginaire (drogue, délires et maladies mentales graves), l’escalade vers la vraie délinquance et la folie meurtrière (dont l’exemple est donné dans les films à succès et le conditionnement littéralement imposé par le matraquage de la télévision et des jeux vidéo).

Agir tôt, par un dépistage précoce, dès la maternelle, des enfants susceptibles de se retrouver en difficulté scolaire, et bien en amont, avant même que ne soient nécessaires la re-médiation ou la répression, par une prévention primaire  au niveau des tout-petits : par une information éducative de la famille (mettant l’accent sur l’importance des rôles complémentaires de la mère et du père – sur l’influence des parents dans la formation de la personnalité de leurs enfants – sur les attitudes à développer, les erreurs à éviter) –

A mon avis, une large réflexion devrait également s’instaurer sur le rôle, dans ce pays,  des media, de l’intelligentsia, des institutions culturelles et cultuelles, des enseignants et de l’école elle-même, des parents et des adultes en général.

George HUYGHUES DES ETAGES, psychologue, auteure d’ouvrages éducatifs –