A «l’Obs», un licenciement très politique

— Par un collectif —presse_free
A l’état d’urgence, à la déchéance de la nationalité, au 49.3, il manquait encore une vilenie pour achever le quinquennat, et la voici : la presse aux ordres. A un an de la présidentielle, le premier hebdomadaire de la gauche française, l’Obs, a brutalement décidé d’engager une procédure de licenciement à l’égard de sa numéro 2, Aude Lancelin. On a du mal à croire que les raisons de cette éviction puissent revêtir un caractère «managérial», comme s’obstine à le soutenir curieusement la direction du journal.

On lit, en effet, dans la presse qu’il y aurait eu un conflit entre la prétendue ligne de M. Croissandeau, dite «de toutes les gauches», et celle d’Aude Lancelin que certains ont voulu mensongèrement réduire à la «gauche de la gauche». Il suffit de lire les éditoriaux dudit directeur de la rédaction pour s’apercevoir que «toutes les gauches», ce sont, en fait, les seules «gauches» de Hollande, Valls et ­Macron…

Nous autres savons très bien, au contraire, que l’un des seuls lieux réellement ouverts à toutes les gauches dans ce journal était précisément les pages dédiées aux idées, aux interventions intellectuelles, aux débats, dont Aude Lancelin avait plus particulièrement la charge. Mais toutes les gauches, c’était sans doute encore trop pour la gauche aujourd’hui au pouvoir. La chose est donc clairement signifiée : ­toutes les gauches n’ont pas droit de cité dans certains journaux de gauche. Il fallait par conséquent en chasser la personne qui leur donnait la parole. Cette opération de police intellectuelle ne prend pleinement son sens qu’à la lumière de l’élection de l’année prochaine que François Hollande, dont la candidature est désormais un secret de polichinelle, envisage visiblement avec appréhension. Et avec le souci que ce qu’il considère comme «sa» presse soit en ordre de marche, c’est-à-dire débarrassée de toute voix dissonante. Propriétaires des médias, les actionnaires de groupes qui vivent en symbiose avec l’Etat sont là pour comprendre les instructions. Et les faire exécuter.

On n’imaginait pas qu’en 2016, et sous un gouvernement de gauche, on pouvait encore assister à des ­mises au pas d’une telle brutalité. Tout est donc dit à propos d’un gouvernement qui n’a décidément plus de principe, et considère la presse comme un outil à sa discrétion. Un des actionnaires a reproché, en conseil de surveillance, à Aude Lancelin d’avoir laissé ­publier des articles «antidémocra­tiques». On se demande bien ce que ce genre de chose peut simplement vouloir dire. En revanche, on voit très bien dans quel type de démocratie, ou plutôt d’antidémocratie, les gens qui agissent ainsi se pro­posent de nous faire vivre.

Si nos interprétations sont erronées, et nous ne souhaiterions rien tant qu’elles le soient, il suffirait à François Hollande, pour nous rassurer, de s’émouvoir publiquement de cette décision aussi inique qu’alarmante pour les mœurs ­démocratiques dont il est sup­­po­sément le gardien. Nous ne pouvons même pas exclure que cette parole puisse émouvoir les actionnaires de l’Obs à leur tour, et les ­ramener à une préoccupation dont ils avaient pourtant proclamé haut et fort, au début de leur aventure, combien elle leur était chère : ­­«la liberté de la presse».

Signataires :

Denis Podalydès Acteur, Etienne Balibar Philosophe, Claude Lanzmann Réalisateur, Emmanuel Todd Démographe et historien, Michela Marzano Philosophe, Julia Cagé Economiste, Alain Badiou Philosophe, John MacArthur Directeur du magazine Harper’s, La Rumeur Groupe, Jérôme Prieur Auteur et réalisateur, François Bégaudeau Ecrivain, Christian Salmon Essayiste, Jacques Rancière Philosophe, Laurent Binet Ecrivain, Raphaël Liogier Sociologue et philosophe, Bernard Stiegler Philosophe, Gérard Mordillat Ecrivain et réalisateur, Stéphanie Chevrier Editrice, André Orléan Economiste, Christian Laval Sociologue, Pierre Dardot Philosophe, Hugues Jallon Editeur, Michaël Fœssel Philosophe, Cédric Durand Economiste, Chloé Delaume Ecrivaine, Geoffroy de Lagasnerie Sociologue, Guy Walter Ecrivain et directeur de la Villa Gillet, Chantal Jaquet Philosophe, Razmig Keucheyan Sociologue, Edouard Louis Ecrivain, Frédéric Schiffter Philosophe, Jacques de Saint-Victor Historien, Caroline de Haas Militante féministe, Christine Delphy Sociologue, Benjamin Stora Historien, Mathieu Terence Ecrivain, Bernard Lahire Sociologue, Roland Gori Psychanalyste, Elsa Dorlin Philosophe, Patrick Chamoiseau Ecrivain, Anne Dufourmantelle Psychanalyste, Annie Ernaux Ecrivaine, Guillaume Le Blanc Philosophe, Ollivier Pourriol Philosophe, Hervé Le Bras Démographe, François Gèze Editeur, Sophie Wahnich Historienne, Lydie Salvayre Ecrivaine, Quentin Meillassoux Philosophe, Romain Bertrand Historien, François Schlosser Ancien rédacteur en chef du Nouvel Observateur.