A la recherche de la sœur perdue

— Par Michèle Bigot —

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L’Enfant caché dans l’encrier
Joël Jouanneau, création
26/26/10/2016, Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-provence
On connaît deux Joël Jouanneau : l’auteur et metteur en scène de pièces destinées au jeune public, et le metteur en scène des textes de Beckett, Bernhard, Jelinek….
Dans le registre du théâtre destiné au jeune public, sa pièce précédente, Le Marin d’eau douce (2007), racontait déjà l’histoire d’un enfant, appelé juste Enfant, qui s’ennuyait dans son grand château. Pour rompre cet ennui, il décidait de prendre la mer, et à l’issue de ce périple, il rencontrait Minnie, sa presque sœur qui le baptisait Ellj.
C’est ce même personnage de Ellj qu’on rencontre dans la nouvelle pièce. L’enfant s’ennuie toujours, livré à lui-même. Il passe ses grandes vacances dans le château de son père, le grand amiral toujours absent. Un jour, il entend une petite voix sortir de l’encrier ; c’est celle d’une petite sœur inconnue qui l’appelle au secours. Le voilà donc parti sur les routes pour la délivrer. Au fur et à mesure que se déroule son voyage, sur terre et sur mer, Ellj retranscrit ses aventures sur son cahier d’écolier. Toute cette odyssée va prendre vie sur le plateau, par la magie de la lumière, du son, et de quelques accessoires. Sur le plateau, quelques meubles tirés du bazar d’un grenier : un lit en fer, un escabeau de bois, quelques peluches, divers objets. Il suffit d’un coffre, d’un vieux matelas, et de quelques jouets pour donner vie à l’aventure. Sur scène, un seul acteur (Dominique Richard) dans le rôle de Ellj : conteur et acteur de sa propre histoire, il s’adresse directement aux enfants dans une langue étrange où tous les verbes sont à l’infinitif. Ce procédé d’écriture plonge le spectateur dans une immédiate étrangeté. Dans un hors-temps où l’aventure et la magie peuvent se déployer. Il n’y a plus ni présent, ni passé, ni futur. Tout se déroule dans une mystérieuse simultanéité. Tout devient possible, les coups du sort, les rencontres fortuites :Basile, l’Ardoizoo, infortuné compagnon de voyage et enfin Annj, la petite fille inouite, en qui se réincarne la presque-sœur tant recherchée.
Miracle de la scénographie (signée Vincent Desbats), l’espace confiné du plateau ouvre sur tous les horizons, les objets s’animent, les meubles sont transformables. Le jeu des lumières, petite bougie allumée, cercle de sable coloré, brouillard nocturne, contribue avec la musique à recréer cet univers merveilleux de l’imaginaire enfantin. Toute mièvrerie en est absente pour autant que l’errance de cet enfant orphelin le fait se heurter aux blessures, aux obstacles et murailles des cités. Joël Jouanneau offre une vision ambigüe de l’enfance, miracle de rêverie mais aussi douleur de l’errance : « Les Orphelins ! ce pourrait être le titre générique de mes pièces pour enfants. […] Or, si les enfants qui habitent mes textes sont placés, adoptés ou trouvés, ils ne portent pas plainte pour autant. […] Ils ont été mis au monde, comme on dit, et c’est précisément de ce monde qu’ils se sentent orphelins. […] Ils le cherchent, ce monde promis, mais ne le trouvent pas, ou se heurtent à ses murs, clôtures, frontières et autres barbelés. Interdit d’entrer. Papiers ou circulez : il n’y a rien à voir. D’où leur errance et cet esprit nomade qui les habite. »
Or le spectateur adulte d’aujourd’hui, quand il entend « naufrages, murs, clôtures, papiers ou sinon circulez ! » ne peut s’empêcher de trembler. Il se dit alors que le monde interdit aux enfants est aussi bien bouché pour leurs adultes de parents !
Michèle Bigot