À la Cartoucherie, un Canada malade de son passé colonial

Dans « Kanata », spectacle inabouti mais prometteur, le metteur en scène québécois entrecroise les temporalités et les récits.

— Par Joëlle Gayot —
Sur les sièges du Théâtre du Soleil, samedi 15 décembre, les spectateurs de la première représentation de Kanata – Episode I – La Controverse, mis en scène par Robert Lepage, ont trouvé un avertissement les inclinant à la bienveillance : « Ceci est une répétition ! », titrait la feuille imprimée. Répétition ovationnée par le public, même si ce qu’on a vu à la Cartoucherie de Vincennes (et qui sera présenté au Printemps des comédiens, à Montpellier) en était encore, au jour J, au stade des (bonnes) intentions, sans avoir décollé de ce qui ressemblait à une suite de séquences mises bout à bout. Et ce, malgré une certitude : tout est en place dans ce projet pour qu’opère la magie.

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Il y a d’abord le propos. Il est humaniste, potentiellement émouvant et assurément attentif aux destins singuliers qu’il expose. Dans le fil des récits racontés qui renvoient à l’histoire mal connue d’un Canada malade de son passé colonial, s’entrecroisent les sorts de Tanya, prostituée droguée qui finira, comme quarante-huit de ses semblables, assassinée par un tueur en série ; Miranda, jeune peintre française habitant Vancouver et qui voudrait, nonobstant le temps nécessaire du deuil des familles, exposer ses tableaux des victimes du meurtrier ; Leyla, restauratrice d’art et mère de Tanya ; Tobie, documentariste homosexuel dont la caméra traque les déclassés du quartier pauvre de la ville ; Louise, Amérindienne que les colons ont envoyée en internat catholique avant de lui soustraire son enfant. Ces histoires, qui articulent les causes avec leurs conséquences, s’inspirent de la réalité. Robert Lepage fictionne à peine, il rend compte des souffrances d’un pays en quête de résilience.
Fraternité esthétique et éthique

Il y a aussi une forme. Elle évoque celle, merveilleuse, dont Ariane Mnouchkine, patronne du Théâtre du Soleil, a fait sa signature. Pas seulement parce que ce sont ses comédiens qui jouent (d’où la colère de certains artistes autochtones canadiens, mécontents de ne pas être de la distribution alors que le spectacle parle, en partie, d’eux). Mais aussi parce que la représentation, tout en chassés-croisés de décors et va-et-vient entre temporalités passées et présentes, rappelle, à s’y méprendre, le geste de la metteuse en scène…

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