« 2028 L’affaire Jean-Mohamed Galmot », un roman d’André Paradis

paradis_2028_affaire_galmotQui est ce Jean-Mohamed Galmot qui débarque en Guyane quelques jours avant le centième anniversaire des événements de 1928 ? Serait-il la réincarnation de Jean Galmot ? Étrange, oui, vraiment, ce qui arrive à Jean-Mohamed en cette année terrible de 2028 où il devra tout simplement sauver le monde… Mais est-ce encore possible ? Et d’ailleurs, de quel monde s’agit-il ?
André Paradis a écrit ici le roman que personne n’attendait.
Une nouvelle vérité (et définitive !) sur l’Eldorado ?

MOTS DE LECTEUR :

« Si l’on ne se trouve pas proprement dans un roman de science-fiction à la Aldous Huxley ni semi-prophétique à la George Orwell, l’on est quand même plongé dans une intrigue à la fois étonnante et inquiétante d’une Guyane et plus largement de l’Amazonie et du monde de 2028, dévorés par la société dite de consommation et les organisations mafieuses. Une façon pour l’auteur de proposer ‘‘un monde possible’’ si les bons choix ne sont pas faits par la population guyanaise et les représentants qui, ici, ne sont qu’illusion de pouvoir. Non sans un humour rafraîchissant et une ironie piquante, l’auteur nous livre dans ce roman les charmes d’une nature et la beauté d’un environnement confrontés à la course au profit néfaste des êtres humains… »

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Extraits croustillants (la larme à l’oeil ou l’eau à la bouche, au choix)

Quand même, il me fallut pas mal de temps pour oser l’ouvrir, ce livre. Je veux dire l’ouvrir comme un livre doit être ouvert, devant des yeux qui ont envie de savoir pourquoi il existe. Mes yeux purent quand même trouver ceci, tout à fait par hasard, croyez-moi :
JE DÉDIE
CETTE VIE AVENTUREUSE
DE JEAN GALMOT
AUX JEUNES GENS
D’AUJOURD’HUI
POUR LEUR PROUVER
QU’UN ROMAN
PEUT AUSSI ÊTRE UN ACTE
B.C.
Comment un livre – ou un roman, mais d’abord c’est quoi, un roman ? – pouvait aussi être un acte, me dépassait.
Je croyais savoir ce qu’était un acte, mais je ne voyais pas le rapport. En désespoir de cause, je parvins à la conclusion à la fin de ma deuxième pomme de terre que je me trouvais devant un vrai défi : puisque j’étais Galmot, il fallait que je lise ce livre. Le destin l’avait mis devant mes yeux dans le train, ensuite je l’avais, par hasard, mis dans ma poche, l’après-midi je le retrouvais sous mes pieds et il portait mon nom sur sa couverture, trop c’était trop. Pas besoin d’être superstitieux pour comprendre qu’il était là pour moi. C’était peut-être ça qui en faisait un acte ?
Je ne vais pas m’étendre, m’étaler, plutôt, sur le mal que j’ai eu à lire ces pages. L’habitude de lire, je ne l’avais pas perdue, je ne l’avais jamais eue. D’abord, j’essayai de comprendre mot par mot, puis je me rappelai ce qu’était une phrase, comment les mots réagissaient les uns avec les autres pour donner du sens. Les mots, ça allait à peu près, mais il me fallut plusieurs jours pour que je me souvienne de ce qu’était un point et comment ça découpait le sens. Finalement, j’en suis venu à bout, et quand je l’ai eu terminé, je l’ai repris au début, car j’avais fait de tels progrès que je me suis rendu compte de tout ce que j’avais perdu de la première partie.
Et voilà pourquoi un beau soir je débarquai ailleurs. (page 21)

Puis subitement, négligeant toute transition, Victor demanda :
— Vous venez de Paris. Sait-on là-bas, le dit-on, qu’il n’y a plus d’Amazonie ?
Et comme Jean-Mohamed ouvrait la bouche pour répondre, Victor continua :
— Oui, je suis bête. Vous ne savez pas ce qu’est l’Amazonie ? C’était une forêt, et plus qu’une forêt, un monde, tout un univers. Grande comme une vraie forêt doit être, peuplée de femmes qu’on appelait Amazones, les gardiennes du roi doré. Nous ne sommes pas à court de légendes, vous voyez. C’est fini. Pour faire pousser du pétrole et des herbes à boeufs, on a coupé les arbres. Plus de forêt de pluie car plus de pluie. On ne vous raconte pas tout ça en France ? Le monde a un peu honte. Mais notre civilisation repose sur la production de richesses.
La croissance, ils appellent ça. Et l’Amazonie était contre leur croissance. Elle était immuable, éternelle.
Elle ne connaissait d’autre mouvement que l’évolution des espèces le long du temps. Il fallait la détruire. Pour la faire croître, qu’ils disaient. Contre de l’argent. Qu’êtes-vous venu faire ici ?
— Je…
— Vous ne savez pas, le coupa Victor. (Il tapota le bras de son fauteuil) Comment sauriez-vous ? Plus d’Amazones, donc, et plus d’Amazonie. Ici, en Guyane, il en reste des lambeaux, là où il n’y avait pas d’or. Sur la côte nous avons presque un million d’habitants à nourrir. Et à loger. Et pas de travail. Faire quoi ? Alors ils ont fait des immeubles, partout sur la côte. Des niches à chiens. Ils ont relié les immeubles par des routes, ils ont mis des voitures sur les routes et ils ont bâti des hypermarchés pleins de boîtes de conserves, de boîtes de soda et de bière, et de bouteilles de whisky, tout ça importé de leurs usines mondialisées, en Chine ou ailleurs, et ils ont distribué de l’argent, de l’argent en papier, et ils ont dit : « vous êtes vivants grâce à nous. Prenez et mangez. Consommez pour participer à la croissance. Croissez, multipliez-vous, ça fait passer le temps, et servez-vous. » C’est ça notre Puis subitement, négligeant toute transition, Victor demanda :
— Vous venez de Paris. Sait-on là-bas, le dit-on, qu’il n’y a plus d’Amazonie ?
Et comme Jean-Mohamed ouvrait la bouche pour répondre, Victor continua :
— Oui, je suis bête. Vous ne savez pas ce qu’est l’Amazonie ? C’était une forêt, et plus qu’une forêt, un monde, tout un univers. Grande comme une vraie forêt doit être, peuplée de femmes qu’on appelait Amazones, les gardiennes du roi doré. Nous ne sommes pas à court de légendes, vous voyez. C’est fini. Pour faire pousser du pétrole et des herbes à boeufs, on a coupé les arbres. Plus de forêt de pluie car plus de pluie. On ne vous raconte pas tout ça en France ? Le monde a un peu honte. Mais notre civilisation repose sur la production de richesses.
La croissance, ils appellent ça. Et l’Amazonie était contre leur croissance. Elle était immuable, éternelle.
Pour Jean-Mohamed, ce fut le voyage le plus extraordinaire de sa vie encore courte. Un voyage qui commençait dans la nuit et le noir, comme ses rêves d’enfant. Mais le noir n’était pas vraiment noir. Sauf l’eau, peutêtre, terrifiante. La lune s’y éclatait en échardes ondulantes de lumière jaunâtre, et les étoiles, mais aussi les lucioles, y tremblaient. Le noir de l’eau était bordé du mur de noirceur encore plus dense, plus immobile, de la végétation, et c’est de ce noir compact que montait une infinité de bruits de vie terrestre ou aérienne, des vibrations lentes ou brutales que Jean-Mohamed n’avait jamais entendues, des lenteurs reptiliennes qui glissaient dans l’invisible, des rires cassés qui jaillissaient brutalement du néant, des raclements répétés à l’infini de gorges palpitantes.
Non, jamais, dans ses pires rêves d’enfant ou d’adulte il n’avait trempé dans un vacarme aussi angoissant de bruits dont il ne pouvait imaginer l’origine et la destination, le sens et le besoin. Il tenta de respirer profondément dans le but de détendre un peu ses nerfs, mais alors tout son corps se pénétra de cette odeur composite d’air, de terre et d’eau, de chairs vivantes et de végétations entremêlées en un bouquet d’arômes, d’effluves, d’exhalaisons fraîches ou pourrissantes que l’imagination la plus effervescente se refusait à tenter de démêler. Et pour ce qui était des odeurs, Jean-Mohamed ne disposait que d’un pauvre choix de puanteurs urbaines, de poubelles mal vidées et de corps mal lavés, à moitié dissimulées sous des parfums d’hypermarchés. Tout d’abord il crut suffoquer, et puis son nez, ses poumons, son cerveau lui dirent que ce qu’il sentait là existait bien avant l’invention des villes et sans doute l’invasion des humains, que c’était de ce remugle que toutes les odeurs qu’il avait jamais humées étaient issues par perversion et dénaturation. Il respira plus fort : l’odeur était bonne, profonde, riche. Vivante.
Dans l’eau noire il y eut un éclaboussement, et Jean-Mohamed sut, et ce savoir lui parut une joyeuse victoire, il sut qu’un poisson venait de sauter, dérangé dans sa chasse ou ses amours par le tronc qui s’ouvrait en silence un sillon dans le fleuve. Et il se dit qu’il ne savait pas, pas vraiment, que les poissons vivaient dans l’eau noire des fleuves de nuit, pas seulement dans l’eau ensoleillée des films sur les écrans. (page 82)

André Paradis

Enseignant puis écrivain, André Paradis vit depuis 45 ans en Guyane. Pendant 21 ans, il a été l’auteur d’une chronique satirique quotidienne sur Radio-Guyane, La plume à l’oreille. Après Marronnnages (nouvelles) puis L’année du fromager (roman) et Le soleil du Fleuve (roman), il publie en 2006 Des hommes libres, un roman qui obtiendra le prix Carbet des lycéens. André Paradis est également l’auteur d’un roman de jeunesse, Guillaume et les voyous et d’un recueil collectif de nouvelles, Brèves de savane.

André Paradis a publié 10 livres chez Ibis Rouge:

 

Genre: Roman

Caractéristiques:

ISBN: 978-2-37520-512-9
Date de parution: 17 mars 2016
Type: Livre broché
Nombre de pages: 284
Dimensions: 220 × 140 × 20 mm
Poids: 400 g